Le salon érotique le plus connu de Genève ferme ses portes

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GenèveLe salon érotique le plus connu de Genève ferme ses portes

La gérante du Venusia, Madame Lisa, explique les raisons de cette fermeture et revient sur son parcours à la fois riche humainement et semé d'embuches administratives.

Madame Lisa devant les locaux de l'ancien salon érotique Venusia

Madame Lisa devant les locaux de l'ancien salon érotique Venusia

Marie Prieur

C'était une institution à elle toute seule. Madame Lisa a décidé de fermer boutique. Du salon érotique Venusia, rue Rodo, il ne reste plus rien. A part le tee-shirt rouge qu'elle arbore et des draps tout neufs stockés dans son garage. «On a tout vidé cette semaine», lance celle qui a exploité cette maison close durant 20 ans.

Quand elle quitte la place du Cirque en août 2006 pour investir ce local situé au rez-de-chaussée d'un immeuble du quartier de Plainpalais, il y a des travaux à réaliser. «On a accepté de payer un loyer exorbitant afin d'amortir les transformations, précise Daniel, le mari de Lisa. On s'est mis d'accord à l'époque avec les propriétaires de l'immeuble pour renégocier le loyer au bout de dix ans. Mais, ils n'ont jamais accepté de rentrer en matière.»

Plus de 465'000 francs de loyer annuel

Le loyer dépasse les 465'000 francs par an. «C'est l'équivalent de ce qu'on payerait si on était rue du Rhône», s'insurge Daniel. Or, ces dernières années, les affaires ne sont plus aussi florissantes et les coûts ne sont plus couverts. En cause: le Covid mais aussi le fait que Madame Lisa a été contrainte et forcée d'arrêter d'exercer: «Suite à une chute, j'ai une prothèse au genou et suis dans l'incapacité de m'agenouiller.» C'est donc à «une retraite bien méritée» que la quinagénaire va désormais se consacrer: «Je vais pouvoir m'occuper de mon mari, sans ramener du travail à la maison», sourit-elle.

Le couple entend même quitter la Suisse d'ici cet automne. «Ras-le-bol de se battre», s'exclame Madame Lisa, se souvenant des multiples péripéties qui ont émaillé son parcours helvétique. Parmi lesquelles le refus de la naturaliser malgré son mariage avec un Suisse. En 2014, le Secrétariat d'Etat aux migrations avait en effet rejeté sa demande sous prétexte qu'elle était infidèle. Une décision cassée par le Tribunal administratif fédéral.

«Elles ne veulent pas exercer ailleurs»

Aujourd'hui, elle préfère tirer la prise. Au grand dam de la cinquantaine de filles qui travaillaient avec Venusia (non comme employées mais comme indépendantes). «Elles sont plus tristes que moi, souligne Madame Lisa. Peut-être parce que je ne réalise pas encore...» Et d'ajouter: «Près des trois quarts d'entre elles quittent Genève. Elles ne veulent pas exercer ailleurs.» Et ce, selon elle, en raison des conditions de travail au Venusia.

«Quand j'ai ouvert le salon car je n'arrivais plus à travailler seule, j'ai mis en place des conditions pour les hôtesses auxquelles, moi, j'aurais accepté de travailler.» Ainsi, au lieu de prendre 50 à 60% du chiffres d'affaires des filles comme la plupart des salons, l'exploitante leur fait payer le temps d'occupation des chambres. «Cela équivaut à 30% environ de leur chiffre», indique Daniel. Pour la salle commune, où les hôtesses peuvent se reposer entre deux clients, elle choisit une pièce assez grande, refusant de cloitrer les filles dans une cuisine sans fenêtre comme dans d'autres salons.

Le menu des plaisirs

Autre critère important : «Au Venusia, j'ai tout de suite mis en place une fiche, poursuit Lisa. A leur arrivée, les hôtesses précisaient ce qu'elles acceptaient de faire ou pas. Je pars du principe qu'une prestation que tu acceptes de faire, tu le feras bien. Si tu ne le souhaites pas, ta voisine le fera.» Une pratique qui, selon elle, a ensuite essaimé dans d'autres salons.

Enfin, la gérante a aussi instauré le menu des plaisirs. «C'est ni plus ni moins que la carte des prestations avec chaque tarif.» De quoi empêcher que le prix ne soit fixé à la tête du client mais aussi d'éviter la concurrence déloyale entre les filles. «Elles n'ont pas le droit d'appliquer un tarif inférieur à celui indiqué sur la carte», précise Madame Lisa.

«J'ai vraiment pu m'épanouir»

Si, avec cette philosophie (et son franc parler), elle ne s'est pas toujours fait des amis dans la profession et l'administration, la péripatéticienne se dit fière de son parcours. «Le plus important pour moi dans ce métier, c'est la relation humaine. J'ai vraiment pu m'épanouir», conclut-elle, emportant avec elle le souvenir de rencontres inoubliables avec «ses filles» comme avec nombre de ses clients devenus des amis.

Des affiches qui détonnent

Aux yeux du grand public, le Venusia est connu pour ses campagnes publicitaires qui ont maintes fois défrayé la chronique. On se souvient notamment de l'affiche montrant une pipe sur fond jaune, avec comme unique texte: «Dès 160 fr.» Celle-ci avait été censurée car elle violait la loi sur la publicité en faveur du tabac. Qu'importe, Madame Lisa, issue d'une famille d'ostréiculteurs, avait trouvé la parade en optant à la place pour un crustacé: «Ils n'ont pas aimé la pipe, ils vont adorer la moule!», avait-elle lâché.

Autre exemple: à l'occasion de la grève des femmes le 14 juin 2019, Venusia clamait: «Pour vous, nos femmes ne font pas grève». Pour l'Eurofoot de 2016, c'était le slogan «Chez nous, toutes les passes sont réussies» qui avait fait jaser.

Une communication jugée sulfureuse par certains mais pleinement assumée par la gérante. «En tant que mère de famille, j'ai toujours trouvé plus choquant les publicités des marques de lingerie montrant des filles dénudées que mes affiches qui jouent sur des jeux de mots que seuls les adultes peuvent comprendre», argumente, encore aujourd'hui, Madame Lisa.

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